BEAUNE

Beaune – Un conseil municipal électrique autour d’un budget 2026 jugé “d’attente”, “insincère” ou “irréaliste” selon les oppositions

Beaune – Un conseil municipal électrique autour d’un budget 2026 jugé “d’attente”, “insincère” ou “irréaliste” selon les oppositions

À moins de 100 jours des municipales, le vote du budget primitif a tourné au duel politique ce jeudi soir : accusations de manipulation, démonstrations techniques, critiques idéologiques et fractures profondes entre les groupes.

Le budget primitif 2026 aura concentré, à lui seul, toutes les crispations d’un mandat qui touche à sa fin. Jeudi soir, le conseil municipal de Beaune a offert une séance heurtée, rythmée par les interruptions du maire, les contre-attaques de l’opposition et un déballage politique assumé de part et d’autre. 
À quelques semaines des élections municipales de mars, ce vote revêtait une portée hautement symbolique. Les échanges ont révélé un rapport de forces inédit : un maire, Alain Suguenot, isolé face à plusieurs groupes d’opposition désormais majoritaires en voix. Abstentions en cascade, passes d’armes, contestations méthodologiques, accusations d’électoralisme… Le budget est devenu le point de cristallisation des fractures politiques de cette fin de mandat.
 
Un budget voté… mais déjà promis à être réécrit
Le budget 2026 — 31 M€ en fonctionnement, 18,8 M€ en investissement — est formellement adopté. Mais chacun sait qu’il ne survivra pas tel quel aux élections : la future majorité issue du scrutin de mars le remaniera de fond en comble. Les groupes de Pierre Bolze et de Beaune Convergence annoncent leur abstention. Le groupe “Pour Beaune vraiment” vote contre.
Le maire réagit aussitôt, frontalement avec sarcasme : « Vous contestez ce budget ? Mais vous vous abstenez ! Vous allez être complices de la banqueroute de la ville si vous ne votez pas contre ! Alors ayez le courage d’assumer vos responsabilités jusqu’au bout ! Vous annoncez un faux budget établi pour tromper les électeurs ! La responsabilité des élus, ce n’est pas faire semblant comme vous le faites sans arrêt ».
 
Le maire plante le décor : « Un budget d’attente, sans hausse d’impôts »
Présentant le budget primitif 2026, Alain Suguenot insiste d’emblée sur le contexte national et sur les contraintes pesant, sur les finances locales. « Le budget primitif 2026 vous est présenté dans un contexte où on ne connaît toujours pas le projet de loi du gouvernement ni son budget pour 2026. Un État qui a perdu le contrôle et qui demande aux communes de payer l’addition : c’est inacceptable. Avec ce ‘dilico’ instauré l’an dernier, on nous demande d’être solidaires d’une gestion calamiteuse. Nous avons une amputation qui sera doublée. C’est une spoliation alors que la dette des collectivités représente 8 % du budget de l’État. »
Il martèle ensuite la stabilité fiscale, mantra récurrent des exécutifs successifs : « Malgré cela, Beaune tient bon. Et je vous le dis : il n’y aura pas d’augmentation des impôts, comme depuis 31 ans ».
Alain Suguenot décrit un « budget de continuité », et « d’attente », le temps de passer l’échéance électorale, sans vouloir dévoiler les projets qu’il a prévus et « dont certains vont vous surprendre ».
Le budget 2026 prévoit : 31 M€ de fonctionnement, 18,8 M€ d’investissement, avec 1,8 M€ de soutien aux associations, des recettes en hausse de 2,3 %, et plusieurs opérations majeures : +6 M€ pour la piscine, 2,8 M€ pour le pôle scolaire Blanches-Fleurs, 500 000 € pour les mobilités douces, 60 000 € pour la vidéoprotection (appelés à “doubler plus tard”), 1 M€ pour la voirie, 935 000 € pour la toiture des Halles…
« Beaune investit dans son avenir, grâce au remboursement de sa dette : 5,2 ans de capacité de désendettement, comme en 2019. Un petit miracle beaunois », proclame le maire, tout en reconnaissant « être moins optimiste pour les années à venir ».
Mais la présentation technique va rapidement laisser place à un affrontement frontal.
 
Pierre Bolze déclenche l’incendie : “Ce budget est maquillé”
Premier adjoint dissident, chef d’un groupe devenu pivot, Pierre Bolze livre une analyse très critique, structurée comme un réquisitoire financier. « Je veux vous parler simplement, franchement, comme on parle quand il s’agit de choses sérieuses. Un budget, ce n’est pas une affaire de techniciens. C’est la vérité nue d’une ville : sa force, ou sa fragilité. La vérité, c’est que ce budget est fragile, maquillé, et qu’il masque une épargne nette négative. »
Il reproche à la municipalité une présentation inexacte, en particulier sur l’épargne nette.
« Sur la note de présentation est évoquée une épargne nette de 187 700 €. Ce n’est pas exact, et c’est contredit par la maquette budgétaire. On présente un simple virement interne comme de l’épargne nette. C’est un contresens. »
À plusieurs reprises, Alain Suguenot l’interrompt sèchement et revient sur ce qu’il présente comme une simple erreur : « Il ne s’agit pas de l’épargne nette, qui ne peut être présentée qu’au compte administratif, une fois l’exercice clos. Elle n’apparaît normalement pas dans un budget primitif. C’est une coquille des services ».
Puis il attaque plus frontalement : « Arrêtez de parler de ce que vous ne connaissez pas, arrêtez de dire n’importe quoi. C’est la démonstration parfaite de votre méconnaissance de la comptabilité publique ».
Pierre Bolze poursuit et développe : « L’épargne brute existe, oui elle est bien indiquée : 1 742 179 €. Mais le remboursement de la dette dépasse cette épargne. Résultat : Beaune est en situation d’épargne nette négative. Cela veut dire une chose très simple : la commune n’a plus les moyens de payer son capital de dette par son excédent de fonctionnement. C’est le début de la spirale de l’endettement ».
Le maire rappelle que la présentation est identique à celle des années précédentes, « qui n’avait jamais suscité de remarques. Pendant 25 ans, vous avez voté les budgets ».
Les échanges deviennent tendus. Pierre Bolze poursuit : « La commune n’a plus les moyens de payer son capital de dette par son excédent de fonctionnement. Quand l’épargne nette est négative, chaque euro d’investissement est financé à crédit. Et pourtant, vous affichez un programme d’investissement record… Ce n’est pas un budget sincère. Nous savons tous qu’un tiers des investissements ne seront pas réalisés. Ce budget est un budget électoral financé à crédit sur le dos des Beaunois mais au final ce sont eux qui auront le dernier mot ».
Et conclut : « Notre objectif n’est pas de bloquer l’appareil municipal, c’est pourquoi nous nous nous abstiendrons avec la promesse de revenir, après les élections, avec une volonté de sincérité et de vérité ».
La tension monte encore d’un cran. Alain Suguenot rétorque : « Vous êtes complice si vous vous abstenez. Ne tombez pas dans le ridicule ». 
Jean-François Champion alourdit le constat. L’ancien adjoint aux finances, passé dans l’opposition, apporte son expertise : « Les 2 millions d’euros d’emprunt concernent l’école Blanches-Fleurs, pas la piscine, parce qu’on n’a pas les moyens de la financer sans les dotations attendues. Notre abstention est la moins mauvaise solution. Tu n’as pas dit que des vérités ce soir » s’adressant au maire.
Fait rare, la séance est suspendue à la demande du maire pour permettre au Directeur général des services de la Ville de s’exprimer. Jérôme Chiodo souhaite éclaircir un point « puisque les services ont été attaqués ». « C’est une coquille dans le rapport. Les 1,8 M€ correspondent au virement de la section de fonctionnement à celle d’investissement. Ce n’est pas l’épargne nette. On ne peut pas dire que le budget est en péril. Comme chaque année, la réalité sera au compte administratif. »
Une mise au point technique, mais qui n’apaise pas les critiques politiques.
 
L’opposition « Pour Beaune vraiment » vote contre : fiscalité, écologie, démocratie
Après les abstentions annoncées par le groupes de Pierre Bolze, le groupe “Pour Beaune vraiment”, conduit par Carole Bernhard, choisit la rupture en annonçant qu’ils voteront contre. Sébastien Picard ouvre un angle fiscal en pointant le faible niveau des taxes, notamment sur les résidences secondaires (THRC) et le foncier non bâti. « Le taux de THRS est le plus bas de la région. Si on l’avait augmenté d’1 % par an, l’impact aurait été faible pour les propriétaires et nous offrirait une marge réelle bénéfique pour la ville. Même chose pour le foncier non bâti : 30,76 % à Beaune, contre une moyenne de 66,20 % dans les communes comparables. Cette politique fiscale avantage la filière viticole. Refuser toute hausse d’impôts est un dogme électoraliste. »
Carole Bernhard déroule ensuite un réquisitoire politique : « le budget doit refléter un projet. Or nous ne retrouvons pas les enjeux que nous défendons : écologie, solidarité, démocratie.  Le budget d’une ville doit porter des valeurs, or où sont-elles ? Nous voulons de vraies pistes cyclables, une caisse alimentaire, une maison des familles, la rénovation des écoles, la préservation des terres agricoles… La démocratie est affaiblie : nous demandons la diffusion filmée des conseils, des budgets participatifs. Quand le béton aura mangé toutes les terres, que mangerons-nous ? ». Elle revient également sur le dossier du futur musée du Vin : « Nous ne voulons pas que Beaune contribue à financer un projet porté par un investisseur d’extrême droite. Pour nous, ce budget n’est pas à la hauteur. Nous voterons contre ».
Jean-Luc Becquet, adjoint aux travaux, défend les projets structurants. « Nous consultons les habitants, comme pour le quartier Madeleine. Nous avons un schéma cyclable phasé et consultable ».
 
Dans l’opposition, le groupe Beaune Convergence hausse lui aussi le ton
Les élus du groupe “Beaune Convergence” dénoncent l’absence de concertation et l’affichage d’investissements jugés irréalistes. Éric Monnot dénonce un budget « électoraliste » et critique la stratégie municipale en matière d’aménagement et de cadre de vie : « On ne fait pas l’aumône pour quelques places de stationnement en centre-ville. Ça ressemble à un projet électoral, c’en est indécent. Nous attendions de la collectivité qu’elle offre un vrai cadre de vie à nos salariés, des logements, des structures à la hauteur. C’était le sens de ma candidature municipale. Je n’ai pas été très présent ces quatre dernières années, j’avais d’autres responsabilités, mais aujourd’hui je reviens : nous n’aurons pas le même printemps. Je transmets mon entreprise ; je ne suis pas sûr que tout se passera aussi bien pour vous. La transmission est essentielle, et vous êtes en train de rater l’essentiel. Désormais, vous faites face à des gens émancipés, devenus plus intelligents ».
Son collègue Geoffroy Brunel enchaîne, rappelant le traitement réservé aux propositions de l’opposition depuis le début du mandat : « Année après année, nos projets ont été rejetés. DOB après DOB, toutes nos propositions ont été écartées. Cette année, la situation est singulière : le maire est minoritaire et les oppositions sont majoritaires. Dans ce contexte, le budget a été élaboré sans concertation ni transparence, avec parfois du mépris en commission. Vous bafouez le fonctionnement normal de la collectivité. Vous annoncez 18 millions d’investissements pour 2025, alors que la moitié a déjà été réalisée en 2024. C’est pourquoi nous parlons d’un affichage qui répond à un objectif électoral, d’une présentation qui ne nous convainc pas ».
Malgré ces critiques, Beaune Convergence choisit de ne pas bloquer l’adoption du budget : « Nous nous abstiendrons. Ce budget sera repris par la nouvelle municipalité. En mars prochain, il y aura un nouveau maire, un nouveau nom ».
 
Un budget adopté grâce aux abstentions
Au moment du vote, le maire tente une dernière fois de déstabiliser les abstentionnistes : « Si vous vous abstenez, le budget ne passera pas » en vain. Le budget est voté et validé, avec deux contre et de nombreuses abstentions.
À 93 jours du scrutin, ce budget adopté faute de mieux sonne comme l’ultime acte d’un mandat sous tension. La campagne, elle, ne fait que commencer.

Jeannette Monarchi