Beaune - Thiébault Huber interpelle l’État : « Sommes-nous devenus des délinquants ? »

Beaune - Thiébault Huber interpelle l’État : « Sommes-nous devenus des délinquants ? »

À l’occasion du déjeuner inaugural de la 152ᵉ Fête des Grands Vins qui se tient aujourd’hui et demain au Palais des Congrès de Beaune, Thiébault Huber, président de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB), a livré un discours incisif, dressant un tableau préoccupant du moral des viticulteurs et des menaces pesant sur la filière. Entre surcharge administrative, pression fiscale, malaise identitaire et enjeux de transmission, il appelle à un sursaut collectif.

Dès les premières minutes, le ton est donné. « Pour tout vous dire, je me demande où on va. Est-ce qu’on veut toujours de nous quand on voit l’évolution de la réglementation ? Nous avons le sentiment que nos gouvernants n’auraient pas envie de nous. Ce sentiment pèse sur le moral de nos troupes. » Selon lui, la profession traverse un malaise profond, mêlant perte de sens, fatigue administrative et sentiment d’injustice.
 
Un malaise identitaire qui s’enracine dans la profession
Dévalorisation, culpabilisation, perte de sens : le président décrit un moral en berne, alimenté par l’impression d’être devenus « indésirables » aux yeux des pouvoirs publics. « J’ai le sentiment qu’on a honte de la filière… Nous avons l’impression d’être responsables de tous les maux de la santé. On nous prend pour des délinquants, comme si nous étions la cause de tout. » Entre politiques de santé publique, taxes, campagnes comme le Dry January et critiques environnementales, les vignerons disent se sentir « pris pour des délinquants » ou des fraudeurs présumés. Un climat qui alimente, selon lui, un véritable malaise identitaire.
Thiébault Huber s’est montré particulièrement critique envers l’avalanche réglementaire et fiscale qui, selon lui, touche les exploitations. Il décrit un quotidien étouffé par la bureaucratie : « Une petite entreprise consacre une journée et demie au bureau. L’environnement du vigneron, c’est des documents, des contrôles… alors qu’il n’a qu’une envie : faire du vin et s’occuper de ses vignes. On est loin de la simplification administrative. » Dans la salle, plusieurs professionnels acquiescent. La dénonciation est directe, sans détour.
 
La transmission en péril : une inquiétude existentielle
Parmi les passages les plus marquants, la question de la transmission des domaines a suscité un vif écho. « En plus de tout cela, nous sommes une vache à lait fiscal. Je crains de faire partie de la dernière génération à transmettre mon domaine à mes enfants. Les valeurs foncières et le manque d’outils fiscaux ne nous permettront plus de faire face. » Pour Thiébault Huber, il y a urgence : les exploitations familiales — socle historique du vignoble bourguignon — pourraient être menacées par une fiscalité inadaptée aux réalités du foncier viticole.
« Vous me connaissez : je suis un bâtisseur, pas un destructeur. Remettre de la pédagogie, du lien et de la fierté dans notre métier, continuer à transmettre ce plaisir qui fait la force de nos vins, cela passe par le service, pas par la contrainte », insiste-t-il.
Pour Thiébault Huber, la profession doit « se battre contre l’administration », infléchir certaines orientations publiques et renouer un véritable lien de confiance fondé sur l’explication et la pédagogie.
Il rappelle le rôle vital de la viticulture pour les territoires : 4 500 familles, 32 000 hectares de vignes qui façonnent les paysages, 50 000 emplois directs et induits. « Nous assurons l’accueil, le bien-être et la santé mentale de nos salariés. Nous éduquons aussi au vin, au lieu de le diaboliser », souligne-t-il, défendant un modèle qui fait vivre les villages et structure l’identité bourguignonne. « Il faut sauver ce modèle, pas le stigmatiser. Nous sommes responsables, nous savons gérer la question de l’alcool. Notre objectif demeure le même : pouvoir transmettre nos cultures, nos histoires et notre patrimoine. »
 
« Nous sommes les premiers écologistes » : défendre un modèle responsable
Face aux critiques environnementales, le président de la CAVB revendique une écologie de terrain, fondée sur l’observation, la science et la transmission. « Oui, nous sommes les premiers écologistes. Nous avons besoin de science pour apprendre, de conscience pour nous adapter. Tout en produisant, nous prenons soin de nos voisins. » Il rappelle des progrès souvent méconnus : 25 % des domaines en bio, dont 30 % en Côte-d’Or, 60 % engagés dans une certification environnementale. Un mouvement de fond, selon lui, mais qui nécessite soutien plutôt que stigmatisation.
En conclusion de son intervention, Thiébault Huber s’est voulu mobilisateur : « Soyons fiers et continuons à délivrer du plaisir. Passons la première, la deuxième, la quatrième pour la simplification administrative, pour qu’on puisse travailler libérés. » Un message adressé autant à la profession qu’aux pouvoirs publics.
 
La réponse du préfet Paul Mourier : soutien, chiffres et vigilance
Le préfet de région, Paul Mourier, présent au déjeuner, n’a pas éludé les préoccupations. Au contraire, il a répondu point par point, cherchant à réaffirmer le soutien de l’État. « Vous pouvez être fiers d’être vignerons. Vous élevez le vin et cultivez la vigne. Je veux être le témoin du plein soutien de l’État à une filière qui représente sur le plan national 17 % de la valeur produite, un excédent de 14,7 milliards d’euros. Dans ce secteur, la Bourgogne est une véritable locomotive. » Le préfet a rappelé son poids économique exceptionnel : 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 50 % des volumes à l’export pour une région représentant seulement 4 % du vignoble national.
 
Crises, climat, santé mentale : un contexte qui inquiète l’État
Paul Mourier a indiqué avoir été alerté sur la fragilité de la santé mentale des viticulteurs, un phénomène d’abord lié au dérèglement climatique, puis aggravé par la surcharge administrative et le stress qu’elle génère. Pour y répondre, il a annoncé la création d’une cellule spécialisée d’appui, dont la première réunion s’est tenue récemment à Beaune.
Sur le front climatique, il a salué les travaux menés en commun avec la profession, notamment dans le cadre du projet national Vitilience, porté avec FranceAgriMer, qui mobilise 16,5 millions d’euros sur quatre ans pour accompagner l’adaptation des vignobles.
Concernant la progression des maladies de la vigne, et en particulier la flavescence dorée, désormais très présente dans le sud de la Saône-et-Loire — 65 communes sont touchées, dont neuf nouvelles cette année — le préfet a été clair : « L’éradication n’est plus envisageable ». L’État opte désormais pour une stratégie d’enrayement d’ici 2027, et a confié à la profession l’organisation du plan de lutte, dotée d’une enveloppe de 600 000 euros, afin qu’elle puisse déterminer elle-même les modalités d’action.
Il a également rappelé que le Comité Bourgogne s’est engagé dans une planification de la neutralité carbone à l’horizon 2035, un chantier structurant pour toute la filière.
Revenant sur la question réglementaire, il a tenu à nuancer les critiques : « La viticulture est l’une des professions les plus réglementées, mais ces réglementations garantissent aussi la qualité de vos vins. Elles vous protègent. Une partie d’entre elles émane d’ailleurs de la profession elle-même pour faire face à la concurrence internationale ». S’il reconnaît que certaines règles peuvent devenir contraignantes, il appelle à trouver un équilibre.
Enfin, pour répondre à la surcharge de travail et au stress qu’elle génère, le préfet a confirmé la mise en place d’une charte régionale et départementale du contrôle, élaborée conjointement par les vignerons et les services de l’État, afin d’apporter plus de lisibilité et de proportionnalité aux procédures.
S’appuyant sur un rapport du Sénat, Paul Mourier a conclu en appelant à l’unité et au dialogue permanent entre la profession et les services de l’État : « L’urgence est à l’union. Les défis sont nombreux mais la Bourgogne est une référence de qualité et d’adaptabilité ».
Cet échange, particulièrement dense et sans concession, aura marqué la première journée de la 152ᵉ Fête des Grands Vins. Sur fond de fête viticole, le président de la CAVB a rappelé que derrière les stands et les verres, une filière entière lutte pour préserver son avenir, son identité et son équilibre. Et que les prochains mois seront décisifs.

Jeannette Monarchi