BEAUNE

Beaune – Les vignes franches de pied : un patrimoine vivant mis en lumière à la Cité des Climats et Vins de Bourgogne

Beaune – Les vignes franches de pied : un patrimoine vivant mis en lumière à la Cité des Climats et Vins de Bourgogne
Thibault Liger-Belair, vigneron passionné par le patrimoine viticole, a partagé son expérience de réhabilitation des vignes franches de pied au sein de son domaine des Pierres Roses en Beaujolais.

La Cité des Climats et Vins de Bourgogne, fidèle à sa tradition d'éducation et de partage autour du vin, a organisé ce jeudi soir une table ronde sur le thème des « vignes franches de pieds », offrant un voyage dans le temps jusqu'à l'époque pré-phylloxérique. Cette rencontre, enrichie par la présence d'un vigneron et d'un chercheur, a été l'occasion d'aborder la culture, l'élevage et la dégustation de ces vignes d'exception, suivie d'une dégustation thématique.

Parfois, vous entendez des vignerons évoquer des vins provenant de « vignes franches de pied », une terminologie qui peut sembler un peu complexe au premier abord. En réalité, elle fait référence à des vignes qui ne sont pas greffées sur des porte-greffes, mais qui sont directement plantées dans le sol avec leurs propres racines. Avant l'apparition du phylloxéra à la fin du XIXe siècle, toutes les vignes étaient cultivées de cette manière, sans recourir à la greffe sur des porte-greffes américains.
Jean-Philippe Gervais, directeur technique et qualité du BIVB, a rappelé l'histoire de l'introduction du phylloxéra, un parasite redoutable surnommé « l'Attila de la vigne », importé des États-Unis en 1860. « En seulement 30 ans, cet insecte a ravagé les vignobles européens en s'attaquant aux racines des vignes européennes, les privant d'oxygène et entraînant leur mort. »
Pour contrer cette menace, plusieurs solutions ont été envisagées entre 1870 et 1900 : l'utilisation de produits chimiques tels que le sulfure de carbone, l'immersion des vignobles pour noyer le puceron, ou encore l'import massif de porte-greffes américains résistants à cet insecte. C'est cette dernière solution, la plus pratique, qui a finalement été adoptée, et depuis la fin du XIXe siècle, la plupart des vignobles sont greffés.
Malgré cela, quelques rares ceps de vigne, appelés « francs de pied », ont survécu au phylloxéra, souvent grâce à des conditions particulières telles que l'isolement relatif du vignoble, le terroir - un sol sablonneux empêchant le puceron de s'attaquer aux racines -, ou simplement par un coup de chance.


Renaissance des vignes anciennes

L'objectif est clair : préserver l'authenticité et les caractéristiques uniques du terroir. Thibault Liger-Belair, vigneron à Nuits-Saint-Georges et dans le Beaujolais (Moulin à Vent), incarne cette démarche à travers son domaine des Pierres Roses. Ses cuvées "Les Vignes Centenaires - Moulin à Vent" et "La Roche - Moulin à Vent" proviennent de vignes non greffées, plantées bien avant l'invasion du phylloxéra entre 1870 et 1882. Après des recherches approfondies pour retrouver d'anciennes techniques, il a opté pour le marcottage en couronne, une méthode de multiplication végétative qui permet d'obtenir de nouvelles plantes à partir de spécimens existants. Cette approche implique la création de nouvelles racines sur une partie de la plante vivante encore attachée à la plante mère.
Thibault Liger-Belair est membre de l'Association européenne "Francs de pieds", fondée en juin 2021 à Monaco par Loïc Pasquet, vigneron du célèbre Liber Pater, cuvée du domaine bordelais en AOC Graves et président. Cette association vise à rassembler tous les producteurs ayant des vignes plantées de cépages autochtones dans leur lieu d'origine. Son objectif est de préserver et de transmettre un savoir-faire ancestral tout en respectant la biodiversité, en replantant les vieilles vignes dans un écosystème équilibré. La préservation de ces cépages est essentielle pour maintenir la diversité et l'authenticité des saveurs.

Vers un label d'exception
En plus de cela, l'Association cherche à établir et à gérer un label certifiant les vins issus de vignes non greffées. Ce label garantira le contrôle, la traçabilité et la promotion de ces vins uniques qui expriment pleinement le terroir par leurs caractéristiques olfactives et gustatives exceptionnelles. L'Association vise également à inscrire le savoir-faire et les traditions des vignes "francs de pied" au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO.
À ce jour, l'association regroupe des producteurs de divers pays européens, dont l'Allemagne, la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Suisse et l'Autriche. Des scientifiques renommés, tels que l'ampélographe José Vouillamoz, contribuent à fournir la base théorique du projet.
 
Une dégustation révélatrice
Certains considèrent que les vignes franches de pied offrent des vins dotés d'une personnalité unique, plus en harmonie avec leur environnement et leur terroir. Pour explorer cette notion, l'art de la dégustation a été confié à Geoffrey Orban, titulaire d'un master en œnologie et d'un diplôme de maîtrise en biochimie. Il a partagé les résultats de son étude parcellaire sur des vignes franches de pied au sein du Domaine Poitout à Chablis.
La table ronde s'est clôturée par une dégustation qui a mis en lumière les caractéristiques distinctives des vins issus de vignes franches de pied. Les participants ont pu apprécier la profondeur et la pureté de ces vins, véritables expressions d'un terroir et d'une histoire.
Cependant, il reste encore des questions sans réponse quant à savoir si c'est le terroir lui-même ou le fait que ces vignes ne soient pas greffées qui contribuent à leur caractère distinctif. Ce mystère incite les amateurs et les experts à poursuivre leur quête de compréhension et d'appréciation des subtilités du monde viticole.
La Cité des Climats et Vins de Bourgogne continue ainsi de jouer un rôle essentiel dans la transmission des connaissances et la valorisation du patrimoine viticole bourguignon, en mettant en avant les initiatives qui lient tradition et innovation pour le futur de la viticulture.

Jeannette Monarchi

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