BEAUNE

Musée des Beaux-Arts de Beaune - Série « Trésors cachés » : l’Enfant au berceau, un témoignage rare de la maternité dans l’Antiquité romaine

Musée des Beaux-Arts de Beaune - Série « Trésors cachés » : l’Enfant au berceau, un témoignage rare de la maternité dans l’Antiquité romaine

Ce mois de juillet, le Musée des Beaux-Arts de Beaune met à l’honneur un objet rare et émouvant : un ex-voto représentant un nourrisson dans son berceau, issu du site archéologique des Bolards à Nuits-Saint-Georges. Un témoignage saisissant de la spiritualité, de la maternité et de l’enfance dans la Gaule romaine. Il sera prêté pour trois ans au musée de Nuits, renouant avec son territoire d’origine.

Il tient dans la main, mais il dit l’essentiel. À peine 12 cm de haut, 25 cm de long et taillé dans une pierre calcaire modeste, cet ex-voto en forme d’enfant emmailloté dans son berceau incarne l’une des plus touchantes expressions de la religiosité domestique à l’époque gallo-romaine. Actuellement conservé au Musée des Beaux-Arts de Beaune, il est mis en lumière dans le cadre de la série Trésors cachés, avant d’être mis en dépôt au Musée de Nuits-Saint-Georges pour trois ans, dans le cadre d’un réaménagement du parcours permanent. « Je suis très heureuse de voir cet objet retourner symboliquement sur ses terres. C’est une contribution au passé local. Il reste à proximité, et cela permettra de le redécouvrir », souligne Delphine Cornuché, responsable des collections.
 
Une offrande votive à la vie fragile
Ce petit enfant sculpté, découvert en 1865 sur le site des Bolards, a été acquis par la Ville de Beaune dès 1866 auprès d’un vigneron de Nuits-Saint-Georges. Il appartient à la typologie des ex-voto gallo-romains, c’est-à-dire une offrande votive dédiée à une divinité et déposée dans un sanctuaire ou un lieu sacré par une personne en demande dans l’espoir d’une protection ou en remerciement d’un vœu exaucé. Ces pratiques, très courantes dans la religion romaine, matérialisaient la relation directe entre les hommes et les dieux. À cette époque, la maternité et la petite enfance étaient entourées de rituels religieux puissants, en raison notamment de la forte mortalité néonatale.
 
Une représentation réaliste et touchante de la petite enfance dans l’Antiquité
L’objet représente ici un nouveau-né solidement emmailloté, les yeux fermés, le corps entièrement couvert sous une couverture épaisse, à l’exception du visage qui émerge. Un capuchon enserre son crâne à la manière d’un bandeau thérapeutique, la tête du bébé repose sur un épais coussin rayé. L’enfant repose dans un berceau moulé à la manière d’une auge, avec un mécanisme de balancement. Il est attaché par des bandes de tissu, visibles sur la sculpture, qui passent dans des boucles pour maintenir l’enfant. Il incarne à la fois la fragilité de la vie naissante et la gratitude de parents pleins d’espoir.
À ses pieds, un chien recroquevillé est sculpté, comme endormi. Ce détail, à la fois tendre et symbolique, évoque la fidélité, le compagnonnage, mais aussi la protection vigilante d’un petit maître vulnérable.
Le réalisme de la représentation est saisissant. On distingue des traits de visage individualisés : un nez légèrement écrasé, un menton marqué, une bouche aux lèvres ourlées. Le sculpteur n’a pas cherché l’idéalisation, mais l’intimité. Cet enfant n’est pas « un » bébé : il est cet enfant, unique et précieux.
 
Maternité, fragilité et prière dans l’Antiquité
Dans la société gallo-romaine, la maternité et la petite enfance sont entourées de rituels, de croyances et d’angoisses profondes. Le taux de mortalité infantile est extrêmement élevé, en particulier durant les premières semaines de vie. La naissance est à la fois un miracle et un risque.
Les ex-voto liés à l’enfance sont nombreux dans l’Empire romain : membres sculptés, organes malades, visages, symboles de fécondité… et, plus rarement, des nourrissons entiers, souvent figés dans la position du sommeil, protégés par des bandelettes ou des langes. Le fait d’attacher les membres de l’enfant reflète aussi une coutume antique répandue, visant à protéger le corps, favoriser une bonne croissance osseuse, voire corriger des déformations perçues comme menaçantes.
Ces objets étaient déposés dans des lieux de culte, des sanctuaires, souvent proches d’une source sacrée ou d’un temple de la fécondité. Certains exemples proviennent de Sainte-Sabine, du Latium en Italie, ou encore de la source de la Seine, tous lieux liés à l’eau, à la guérison et à la régénérescence.
 
Le site des Bolards, un gisement archéologique majeur
Le berceau de cette sculpture, c’est le site des Bolards, aux portes de Nuits-Saint-Georges. Si ce nom est moderne, les fouilles ont révélé qu’il s’agissait d’une agglomération gallo-romaine importante, occupée de manière continue entre le IIe siècle av. J.-C. et le Ve siècle de notre ère.
Les premières découvertes archéologiques sur le site des Bolards remontent à 1836, souvent de manière fortuite, lors de travaux agricoles, de terrassements liés à une usine ou encore à l’occasion de l’aménagement de vignobles. Peu à peu, des objets et matériaux antiques — céramiques, sculptures, fragments d’architecture — émergent du sol, attirant l’attention des érudits et amateurs d’art locaux. Face à cet afflux d’artefacts, de nombreux vignerons cèdent leurs trouvailles à des collectionneurs ou aux institutions. Ces acquisitions ont permis d’enrichir les collections patrimoniales régionales, et plusieurs pièces majeures ont ainsi intégré les musées de Beaune et de Dijon, contribuant à documenter l’histoire du site.
Dès 1878, l’historien Charles Bigarne, membre de plusieurs sociétés savantes, dresse un premier inventaire du mobilier archéologique découvert sur le site des Bolards, mettant en lumière plusieurs pièces remarquables, dont l’Enfant au berceau.
Entre 1918 et 1948, des fouilles sporadiques, menées par les propriétaires des terrains, confirment l’ampleur et la richesse du site. Bien que les objets soient aujourd’hui dispersés entre collections publiques (à Beaune, Dijon, Nuits-Saint-Georges) et collections privées (notamment en Suisse), une part importante reste accessible au public.
À partir de 1964, des fouilles programmées sont lancées sous la direction du Dr Ernest Planson et de Colette Pommeret, membres du Groupe de Recherche Archéologique du Nuiton (GRAN). Le site est officiellement classé monument historique en 1970. Ces recherches révèlent une occupation continue depuis l’âge du Bronze jusqu’au Ve siècle après J.-C., avec un développement florissant dès le Ier siècle av. J.-C.
L’agglomération antique, dont le nom antique reste inconnu, s’étendait sur environ 20 hectares, abritait habitats, commerces, sanctuaires, et un temple dédié au dieu Mithra. Sa position stratégique à la sortie de la Combe de Nuits, au bord du Meuzin, et sa connexion par des voies secondaires à la Via Agrippa, l’une des artères majeures de la Gaule romaine, ont favorisé son essor.
 
Une nécropole d’enfants et une symbolique universelle
Dans les années 1970, lors de la construction de l’autoroute Dijon-Beaune, une nécropole d’enfants est mise au jour. On y découvre près de 120 nourrissons, parfois inhumés entre deux tuiles faîtières, souvent accompagnés de petites sculptures. L’ex-voto de l’Enfant au berceau s’inscrit dans ce contexte funéraire, symbolisant les préoccupations liées à la naissance, à la santé infantile et à la mortalité précoce.
 
Une œuvre voyageuse
Ce petit ex-voto a connu de nombreuses expositions, tant en France qu’en Suisse. Il a été présenté dans le cadre de thématiques liées à la maternité antique, la petite enfance, ou encore les jeux :
2003-2009 : Museum de Bourges, Lyon, Bavay
2014-2017 : Exposition itinérante Jeux antiques (Nyon, Cholet, Bavay…)
2015 : Retour à Beaune, puis prêt au Musée archéologique de Dijon
Depuis la crise sanitaire, il n’avait plus été montré au public. Ce prêt à Nuits-Saint-Georges vient donc réactiver le lien entre le musée et son territoire d’origine.
 
Une médiation à venir
Le Musée de Nuits-Saint-Georges, engagé dans une restructuration de ses vitrines, prévoit de donner une place centrale à cette pièce dans son futur parcours. À travers elle, c’est toute une page intime de la vie gallo-romaine qui pourra être racontée au public, entre histoire familiale, culte personnel, et spiritualité quotidienne.
Un berceau de pierre, fragile et fort à la fois, pour abriter les espoirs de parents d’un autre temps.

Jeannette Monarchi

À suivre : en août, un autre Trésor caché sera dévoilé à Beaune : « L’Oued Kantara au Village Rouge » (1896) de Félix-Jules Naigeon, huile sur toile inspirée de l’Algérie coloniale.