BEAUNE

Musée des Beaux-Arts de Beaune - Série trésors cachés : plongée dans l’art baroque flamand avec l’allégorie des quatre éléments de Jan Brueghel l’Ancien

Musée des Beaux-Arts de Beaune - Série trésors cachés : plongée dans l’art baroque flamand avec l’allégorie des quatre éléments de Jan Brueghel l’Ancien
L'Allégorie de l'Air @Musée des Beaux-Arts de Beaune

Cette semaine, Info-Beaune vous propose une plongée au cœur du patrimoine artistique flamand avec la série Allégorie des quatre éléments, attribuée à l’atelier de Jan Brueghel l’Ancien, dit Brueghel de Velours. Ces œuvres du XVIIᵉ siècle, emblématiques de l’art baroque flamand, révèlent toute la richesse des collections du Musée des Beaux-Arts de Beaune, forte de plus de 10 000 œuvres.

Ces quatre tableaux, réalisés dans la première moitié du XVIIᵉ siècle, incarnent la pure tradition de l’école flamande. Leur présence au musée s’explique par les liens historiques et culturels entre la Flandre et la Bourgogne, unies au XVe siècle. Le musée possède également des œuvres signées Sébastien Vrancx ou encore Jérôme Francken II.
En 1974, ils ont été légués au Musée du vin de la ville de Beaune par Paul Édouard Charles Chanson (qui a légué également à la ville le Chalet Saint-Paul en 1075).
Ces tableaux ont été intégrés en 1976 aux collections du musée des Beaux-Arts en raison de leurs caractères artistiques et des meilleures conditions de conservation qu’offre ce lieu.
Ces tableaux, transposés de bois sur toile au XIXᵉ siècle, sont des copies des originaux commandés par le cardinal Federico Borromeo en 1607. 
 
La dynastie des Brueghel : un héritage artistique 
Le nom des Brueghel renvoie à une dynastie de peintres renommés des Pays-Bas méridionaux, probablement originaire d’un village près de Bréda, dans le sud des Pays-Bas (hypothèse souvent avancée). L’orthographe de ce patronyme varie selon les époques et les générations, avec des variantes telles que Bruegel ou Breughel. Pour distinguer les différents membres de cette famille d’artistes, des surnoms ont été attribués en fonction de leur position dans l’arbre généalogique ou de leurs styles artistiques.
Le fondateur de cette dynastie, Pieter Bruegel l’Ancien (1525-1569), est le père de Pieter Brueghel le Jeune, surnommé « d’Enfer », et de Jan Brueghel l’Ancien, également appelé « de Velours » en raison de la douceur et de la finesse de ses œuvres. Né à Bruxelles en 1568, Jan a perdu son père très jeune. Sa formation artistique débute auprès de sa grand-mère, Marie de Bessemers, une artiste spécialisée dans les miniatures et les aquarelles, - veuve de Pieter Coecke van Aelst (peintre architecte et éditeur flamand - puis se poursuit dans l’atelier de Pieter Coeck Kindt où il apprend la peinture à l’huile.
En 1590, Jan Brueghel entreprend un voyage en Italie où il noue des relations durables avec le cardinal Federico Borromeo, son mécène fidèle - il est entre autres le fondateur de la bibliothèque Ambrosienne, à Milan, première bibliothèque ouverte au public. Ce séjour influence grandement son style et sa carrière. De retour à Anvers en 1596, il se spécialise dans les paysages, les allégories et les natures mortes florales, des genres très prisés à l’époque. Sa notoriété s’étend rapidement en Europe, le conduisant à collaborer avec des maîtres tels que Pierre Paul Rubens. En 1609, il devient peintre de la cour des Habsbourg à Bruxelles pour Albert et Isabelle d'Autriche, gouverneurs des Pays-Bas méridionaux.
Jan Brueghel meurt en 1625, probablement du choléra, mais sa tradition artistique se poursuit à travers ses fils, Jan le Jeune et Ambrosius, qui reprennent les thèmes et techniques de leur père, bien que leur talent ne rivalise pas avec le sien. Les générations suivantes, notamment Abraham et Jan-Baptiste, apportent leur contribution mais restent moins connues.
 
Copies réalisées à plusieurs mains
Ces œuvres, copies des originaux dispersés entre le Louvre et la Pinacothèque de Brera à Milan, ont été réalisées dans l’atelier de Jan Brueghel l’Ancien aux Pays-Bas, reflétant une tradition artistique héritée du Moyen Âge. À cette époque, la peinture se transmettait au sein des corporations d’artisans, où les maîtres géraient des ateliers familiaux. Ces ateliers formaient des jeunes recrues et collaboraient avec d'autres artistes renommés. Les œuvres produites étaient souvent le fruit d’un travail collectif, chaque artiste contribuant selon sa spécialité, par exemple pour les feuillages, les visages ou les détails minutieux.
La réalisation de copies n’était pas perçue négativement. Au contraire, elle faisait partie intégrante de la tradition artistique et répondait à une forte demande. Ces reproductions étaient très prisées par la bourgeoisie pour enrichir leurs collections ou cabinets de curiosités.
Le thème des quatre éléments (terre, air, eau, feu) jouissait d’une grande popularité. Inspirée de la philosophie antique grecque, cette théorie, apparue entre le Ve et le VIe siècle avant J.-C., décrivait l’univers comme composé de ces éléments primaires dans des proportions variables. D’autres répliques similaires des quatre éléments existent dans des collections publiques en France, notamment à Lyon, Marseille, Nice ou encore au château de Saumur. Chacune présente des variantes, reflétant la diversité des interprétations et le talent des artistes impliqués.

Copies de l'Air à Nice et Lyon

Chaque élément est personnifié par une figure féminine emblématique, entourée de détails minutieux : 
- La Terre : incarnée par Cérès, déesse de l’agriculture,
- L’Air : représenté par Uranie, muse des cieux,
- L’Eau : personnifiée par Amphitrite, nymphe marine,
- Le Feu : illustré par une scène mythologique avec Vénus, déesse de l’amour.

Une série fascinante à découvrir en deux temps

Delphine Cornuché, responsable des collections, nous présente deux des quatre panneaux, La Terre et L’Air, sont dévoilés cette semaine ; les deux autres – L’Eau et Le Feu - suivront dans 15 jours.

La Terre : une ode à l’abondance et à la fertilité
Le premier tableau de la série, La Terre, est personnifié par la déesse Cérès, figure mythologique associée à l’agriculture, la moisson et la fécondité. Drapée dans un tissu ample qui révèle son sein, elle tient une corne d’abondance débordant de fruits, symbole de la richesse et de la générosité de la nature.
Autour d’elle, trois putti (petits personnages ailés ou non, souvent assimilés à des esprits ou génies) participent à l’allégorie : l’un présente un plateau de raisins, un autre offre un bouquet de fleurs, tandis que le dernier est en train de cueillir des plantes. À leurs pieds s’étale une accumulation de fruits et légumes, renforçant l’idée d’une nature nourricière.
Le premier plan est animé par des animaux exotiques comme un singe et des cochons d’Inde, témoins de la curiosité naturaliste de l’époque. Ce choix d’éléments symboliques, associés à une nature luxuriante et foisonnante, évoque une vision paradisiaque et idéalisée de la Terre.
L’œuvre illustre la richesse du détail typique de Jan Brueghel l’Ancien : chaque élément, qu’il s’agisse des fruits, des animaux ou du paysage, est minutieusement travaillé. La composition, typique de l’école flamande, est structurée avec des personnages centraux et une perspective marquée par une double ouverture sur des lointains où des scènes de vie agricole — vaches paissant près d’un village et moissonneurs dans les champs — s’intègrent harmonieusement au paysage.
Cette combinaison de mythologie et de scènes quotidiennes confère à la toile une dimension à la fois fantastique et réaliste. Les teintes délicates, allant du bleu et vert au brun, apportent une douceur harmonieuse, tandis que la richesse des détails et la profondeur de la composition invitent le spectateur à une contemplation prolongée. La Terre  incarne ainsi une vision idéalisée de l’abondance et de la fertilité, ancrée dans les valeurs naturalistes et humanistes de l’époque baroque.
 

L’Air : célébration de la légèreté et du mouvement
Le deuxième tableau de la série, L’Air, est dominé par une composition audacieuse où le ciel occupe les trois quarts de l’espace, traversé en diagonale par des éléments qui évoquent mouvement et légèreté. Sur la gauche, une perspective fermée contraste avec une ouverture sur la droite, dévoilant un paysage verdoyant.
Uranie, la muse céleste, est représentée assise sur un nuage. Presque nue, sa chevelure et son drapé semblent emportés par un vent invisible, traduisant la dynamique aérienne de la scène. Autour d’elle, des putti sont entraînés dans un courant d’air, renforçant cette sensation de mouvement.
Dans une main, Uranie tient une sphère armillaire, instrument ancien représentant la sphère céleste selon les conceptions grecques antiques. Cet objet symbolise la connexion entre le cosmos et le monde terrestre. Dans l’autre main, elle tient un bouquet de plumes, dont celles de paon, rappelant l’univers aérien et l’exotisme.
La composition est enrichie par une nuée d’oiseaux, tant volants que terrestres. Les espèces représentées, perroquets, dindons, autruches, faucons, hiboux, hérons ou grues, illustrent une minutie scientifique propre à l’époque, témoignant de l’érudition du peintre et de son accès à des études zoologiques approfondies. Le bestiaire, peint avec une grande finesse, confère au tableau une richesse visuelle et narrative.
Au premier plan, une forêt abrite des petits cerfs qui lèvent la tête vers le ciel, tandis qu’à l’arrière-plan, une éclaircie laisse entrevoir le char solaire d’Apollon, tiré par des chevaux ailés. Ce détail mythologique relie la scène à l’idée de l’ordre céleste.
L’œuvre, avec sa composition complexe et ses éléments soigneusement orchestrés, offre une célébration poétique et érudite de l’air, capturant à la fois sa légèreté, sa vitalité et sa place essentielle dans l’harmonie des éléments.

Jeannette Monarchi

Retrouvez dans 15 jours les deux tableaux consacrés à l'Eau et au Feu.