ECONOMIE

Une présure made in Meursault

Une présure made in Meursault

Si le vin se marie à merveille avec le fromage, le laboratoire Abia produit sur la Côte de Beaune un liquide qui pourrait se confondre à un Meursault blanc à l’œil nu mais qui se révèle un ingrédient incontournable de la recette de tous les fromages : la présure.

Parmi la panse, le bonnet, le feuillet et la caillette ; les quatre estomacs des bovidés, seul le dernier sécrète des enzymes grâce auxquels le jeune animal digère le lait maternel. Ces enzymes, la pepsine mais surtout la chymosine, entrent dans la composition des fromages. « Il s’agit d’un auxiliaire technologique dont l’indication n’est pas obligatoire sur l’étiquetage mais qui est indispensable car les enzymes continuent à protéolyser la pâte du fromage et contribuent à la coagulation du lait » explique Patrick Granday, président du groupe Granday et dirigeant du laboratoire Abia. Dans son laboratoire à Meursault, l’entreprise produit 500 000 litres de présure par an, le liquide issu du traitement des enzymes présents dans la caillette. « Il faut 20 à 25 millilitres de présure pour 100 litres de lait selon les recettes de fromage. »

La présure malmenée
Entre des accusations de maltraitance animale, infondées selon le dirigeant, et l’apparition de présure issue d’organismes génétiquement modifiés, le produit traditionnel est malmené. « La présure est issue d’un déchet d’animal destiné à la boucherie qui est donc valorisé auprès de la filière fromagère. » Patrick Granday revient par ailleurs sur l’évolution du produit dans le temps. « Dans les années 70, un bruit a couru sur le risque d’un manque de caillette donc des recherches ont commencé sur une enzyme de substitution à partir de la moisissure d’un champignon mais les résultats n’étaient pas de la même qualité. » Dans les années 90, une chymosine issues d’OGM est apparue avec une production à l’échelle industrielle. « Le prix de revient est plus bas et le prix de vente aussi mais le produit final n’a pas les mêmes caractéristiques sur le fromage. » Selon le dirigeant, 80 à 85 % de la fromagerie mondiale a recours à cette enzyme modifiée. « Le choix d’une présure naturelle dépend de la philosophie du client. » Certains n’ont toutefois d’autres choix que d’opter pour une présure traditionnelle en raison du cahier des charges imposé par l’INAO dans le cadre des appellations d’origine protégée. « Certaines marques industrielles préfèrent aussi nos présures car elles recherchent la qualité. »

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La France renonce à la qualité de ses fromages ?
Alors que le laboratoire Abia exporte 20 % de sa production en Norvège, en Allemagne, au Canada ou encore au Japon, le dirigeant met l’accent sur le choix de la qualité que font de nombreux pays producteurs de fromage, à commencer par l’Italie mais aussi les Etats-Unis, l’Allemagne et les Pays de l’Est. D’ailleurs, le classement des meilleurs fromages au monde paru en 2023 place la France bien loin du podium. Le Reblochon, premier représentant de l’Hexagone n’arrive en effet qu’à la treizième place, juste devant le Comté tandis que l’Italie place huit fromages aux dix premières places, s’assurant le tiercé gagnant. « Un paradoxe pour le pays du fromage qu’est la France. » 

Nadège Hubert